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Entre permanence et changements,
Emergence d'un nouveau construit d'action sociale mondialisé
A la fin du dix neuvième siècle, le scientisme hérité de la science positiviste et du rationalisme règne dans la société industrielle. Le rythme du temps s'accélère avec le progrès scientifique et le déferlement technologique. En parallèle, l'individu s'oppose à la normativité de sa communauté d'appartenance pour affirmer son autonomie avec le développement de l'esprit critique et du libre arbitre issus des Lumières. Globalisation, immédiateté et individualisme s'emparent peu à peu du monde occidental.
Au cours du vingtième siècle, le scientisme et le mythe du progrès s'effondrent. Les grands désastres provoqués par les totalitarismes contribuent à faire vaciller les appareils idéologiques. Le matérialisme libéral triomphe dans la société de consommation et la loi du marché, malgré la crise de 1929. La chute du mur de Berlin consacre l'hégémonie occidentale, caractérisée par l'individualisme et la globalisation, imposant la standardisation et la déculturation de masse.
Le vingt et unième siècle s'ouvre à peine que cette hégémonie s'effondre à son tour. La Chine fait une entrée fracassante sur le marché mondial. Les valeurs universalisantes incarnées par les Nations unies sont attaquées de toutes parts. La financiarisation de l'économie libérale emporte le monde dans une crise économique et sociale sans précédents.
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Bouleversement de l'espace, du temps et de l'organisation sociale. C'est la fin des civilisations. Les grands appareils idéologiques, qu'ils soient religieux, philosophiques ou politiques, sont remis en cause. Le danger nucléaire, le réchauffement climatique et les grandes pandémies n'ont pas de frontières. La globalisation est totale, elle a tout emporté, imposant une standardisation normative, déterritorialisée et déculturée.
Dans la vision linéaire occidentale, le temps s'accélère. L'information déferle en permanence, dans un flot ininterrompu et non hiérarchisé. Tout a la même valeur, rien n'a plus aucune valeur. Envolés le temps long et l'action ancrée dans la durée, l'immédiateté s'empare du monde. Dans les médias, la mort des idéologies consacre le règne de la Pensée unique décérébrée tandis que l'individualisme consacre celui du People se donnant en spectacle devant la masse des anonymes. Le web amplifie la tendance amorcée par la télévision. Rien d'autre ne compte plus que de faire le buzz sur Twitter ou Facebook. L'immédiateté, la superficialité et le virtuel triomphent. Emportée dans une agitation permanente et versatile, la société fébrile s'immobilise et se bloque dans l'instantanéité. La communication remplace l'action. L'incertitude consacre l'indécision.
L'organisation sociale traditionnelle préindustrielle est enterrée de longue date. L'individu s'est rebellé face à sa communauté d'appartenance. Il s'est affirmé en effaçant peu à peu l'ensemble des valeurs culturelles inconscientes que portait cette société traditionnelle. Les comportements sociaux ne sont plus intériorisés, la violence s'accentue et l'Etat se fait policier et répressif pour imposer ses lois. Dans cette nouvelle société matérialiste et déshumanisante qu'il a contribué à créer, l'individu a perdu toute identité. Apeuré et angoissé par autant d'incertitude, il part maintenant en quête de sens, d'émotion, de lien social et de certitudes. Dans ce monde qui n'a jamais été aussi peuplé, l'opinion se forme au travers d'une foule dispersée d'hyper individualistes, uniquement guidés par leurs émotions. La tentation du repli identitaire n'a jamais été aussi forte. La démocratie est contrariée et le leadership s'incarne à présent dans la personnalité de gourous séducteurs, autocrates et totalitaires.
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Dans ce bouleversement du monde, sans valeurs ni repères, émerge une autre société mondialisée, une nouvelle construction d'action sociale. Economiquement, l'hégémonie occidentale est mise à mal par l'Orient emporté par la Chine et l'Inde, l'Amérique latine par le brésil et l'Argentine. Culturellement, les valeurs occidentales individualistes des Droits de l'Homme ou du Droit d'ingérence humanitaire portées par les institutions internationales sont remises en cause par les pays émergents. Dans ce concert international, seule l'Afrique n'a pas encore donné de la voix. Le monde s'invente une nouvelle géopolitique, dominée par le polycentrisme et l'incertitude. Le monde multipolaire est entrain de naître.
Dans la société de consommation de masse où règne l'abondance, face à la standardisation normative de l'offre imposée par quelques oligopoles s'impose peu à peu la longue traîne de la demande avec ses marchés et produits de niche. Dans le domaine idéologique, la contre-culture underground et artistique consacre de nouvelles tribus urbaines modernes. La Pensée unique doit affronter les alter mondialistes et les apôtres de la décroissance. Dans le domaine religieux, à l'égal de l'Eglise catholique écartelée entre la Fraternité Saint Pie X et le Renouveau charismatique, les grandes religions traditionnelles sont prises dans le balancier entre repli identitaire vers le fondamentalisme et New age mystique et ésotérique des nouvelles tribus. Dans cette profusion matérielle et spirituelle, la standardisation est maintenant confrontée à la dispersion des aspirations individuelles.
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Dans la complexité, le désordre et l'incertitude permanente, le modèle du chaos s'impose pour faire face à la versatilité individuelle, la volatilité des marchés ou l'incertitude systémique. Le monde devient multipolaire, les tribus se multiplient et la demande se disperse. Reste à remettre un peu de cohérence dans ces nouveaux amalgames où règne la confusion, penser le monde dans un va et vient entre local et global, renouer avec le temps long, la durabilité et l'action, légitimée par des convictions et non plus des certitudes. Le scepticisme doit régner.
Tel est le fruit de mes méditations contemplatives pour repenser le monde en construction, mon cadre d'analyse et de décryptage.
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